Le contexte d'affaire en hydroélectricité
Caractéristiques du marché des machines hydrauliques
Le marché des machines hydrauliques est un domaine d'affaire qui échappe souvent à la compréhension des gestionnaires. Alors que la doctrine d'Adam Smith conduit à la standardisation et la spécialisation des tâches, certains poussent l'interprétation jusqu'à la standardisation des produits. La production en série de produits de consommation leur donne raison. Toutefois, dans le domaine de l'hydroélectricité et en particulier celui de la grande hydro, il n'est pas économiquement viable d'offrir un produit standard de série, une turbine hydraulique est toujours considérée comme unique et prototype. Cette caractéristique et bien d'autres aspects seront traités dans les prochaines lignes.
On observe des tendances propres au domaine hydroélectrique qui sont les mêmes partout dans le monde :
Coûts de mise en œuvre élevés.
Un aménagement hydroélectrique nécessite des travaux civils de grande envergure pour tirer profit d'un site déjà avantageux qui est souvent éloigné des centres de consommation. On déplace des montagnes, creuse des tunnels, aménage des routes, construit des structures en béton, etc.
Délais de mise en œuvre longs.
Ces travaux se calculent en années, pendant lesquelles il n'y a pas de production ni de retour sur l'investissement qui est colossal.
Généralement propriété de l'État ou filiale.
La nature des entreprises privées est en général incompatible avec des retours sur investissements à très long terme. Le projet hydroélectrique est plus un projet de société ou national.
Essais sur modèle réduit pour valider la conception hydraulique.
La physique des écoulements et la nature unique des conceptions font que pour valider la conception de la turbine et ainsi diminuer les risques financiers, on fabrique et teste un modèle à une échelle réduite de la turbine industrielle, pour en mesurer les performances. Cela entraîne des délais et des coûts non-négligeables.
Coûts de production faibles.
Une fois la centrale mise en service, son exploitation ne nécessite aucun carburant à acheter. Son opération peut se faire à distance. Il faut très peu de personnel pour opérer une centrale de façon sécuritaire.
Maintenance faible.
Les turbines hydrauliques sont certainement les machines les plus fiables faites par l'homme. Certes, de façon préventive, des inspections périodiques sont préconisées.Généralement, les usures conduisent à une réhabilitations tous les 35 ans environ pour des machines qui ont été en opération à plein temps.
L'Amérique du Nord se distingue des autres marchés par les caractéristiques suivantes :
Les opérateurs sont compétents et exigeants.
Ils ont dépassé le stade d'achat et de mise en service des équipements, ils cumulent une expérience d'exploitation qui se compte en plusieurs dizaines d'années et ils font face à de nouveaux requis environnementaux et sociaux qui orientent leurs critères et leurs spécifications techniques.
Économie mature.
L'économie du pays est compétitive ce qui favorise les compétences du personnel et l'optimisation du produit. De plus, dans cette économie mature, le marché s'oriente vers la réhabilitation des installations existantes.
Opérateurs innovateurs dans les requis.
Les nouveaux requis de performances et les nouveaux problèmes à résoudre poussent au développement et à la recherche de solutions innovantes. On veut des turbines : qui produiront plus d'énergie à partir de la même ressource, demandant encore moins de maintenance, sont compatibles avec les nouveaux critères environnementaux : ichtyophiles ("fish friendly"), qualité de l'eau (augmentation de l'oxygène dissout), etc.
Performance et fiabilité.
Les coûts de main d’œuvre élevés font que l'on veule minimiser les interventions. Les temps d'arrêt prévus et encore plus ceux intempestifs, doivent être réduits. La valeur de l'énergie et de la puissance conduit à une course au rendement où chaque dixième de pourcent de rendement vaut une fortune.
Requis environnementaux.
Sous les pressions sociales, on doit diminuer l'impact environnemental en favorisant la vie aquatique et en éliminant tout effet délétère dû au système hydro-électrique. Cela conduit, entre autre, à la conception de turbines itchtyophiles ("fish friendly") qui augmentent le taux de survie des poissons les traversant, ou aérantes qui elles, introduisent de l'oxygène dans l'eau de la rivière pour favoriser la vie aquatique.
Remarque : Chaque projet est unique
Plusieurs raisons motivent le fait-sur-mesure en hydroélectricité. Ce sont les conditions hydrauliques, les conditions d'exploitation et les aspects culturels.
D'abord, les aspects physiques et donc les conditions hydrauliques particulières du site. Par exemple :
Le marnage (variation des niveaux d'eau dont dépend la chute),
est intimement lié à la géographie du site,
varie suivant les saisons,
le niveau aval et donc la chute varie avec le débit dans certaines conditions ce qui influence le comportement en cavitation.
Le débit
est aussi très lié à la géographie du site, au réseau hydrographique, au climat, à la saison, etc.
Selon le type de centrale, au fil de l'eau ou réservoir, le débit peut être dicté par la rivière ou par le besoin en électricité.
Selon le nombre de machine en opération et leurs dimensions, le débit par machine variera.
Le choix de l'enfoncement de la turbine par rapport au niveau aval dépend aussi des conditions du site et des coûts de constructions.
Pour une centrale souterraine, l'enfoncement a moins d'effet sur les coûts alors que
Pour une centrale au fil de l'eau ou en surface, l'enfoncement augmentera les coûts du civil.
La qualité de l'eau peut aussi influencer la conception de la turbine.
Une eau chargée en sable va nécessiter des attentions particulières. Par exemple, on cherchera à diminuer les vitesses d'écoulement et/ou on utilisera des matériaux ou des revêtements résistants à l'abrasion.
Une eau désoxygénée nécessitera une aération.
Les conditions d'exploitation influenceront aussi la conception de la machine.
Un opération stable donnera la priorité à l'énergie et au niveau de rendement.
Une opération pour fournir la pointe, imposera des chargements statiques et dynamiques importants causant de la fatigue à l'équipement.
La culture des intervenants sur le projet laisse aussi sa marque. Par exemple :
Le choix du type de machine peut être fortement influencé par l'expérience des intervenants. Certains opérateurs vont préférer les turbines hélices aux Kaplan à cause de leur fiabilité et de leur très haut rendement. Alors, que d'autres préféreront les Kaplan qui donnent plus de souplesse dans leur exploitation.
Les choix des matériaux de construction sont aussi souvent imposés. Certains voudront un blindage aspirateur sur de plus grandes surfaces. Certains préféreront un acier inoxydable martensitique pour la roue, alors que d'autres ne jurent que par l'acier inoxydable austénitique.
Des choix sur la conception de la centrale, par exemple, le support de la butée axiale : cône de support pivot ou croisillon ; le démontage de la roue par en dessous pour faciliter l'entretien, etc.
Sous les pressions sociales, des restrictions environnementales imposeront des mesures adaptées. On peut vouloir limiter l'utilisation de lubrifiant minéraux, améliorer la survie des poisson, etc.
Toutes ces raisons font que chaque aménagement est unique, que l'équipement est dimensionné et conçu sur mesure. De plus, le nombre de machines dans un aménagement est réduit. C'est pourquoi on appelle la machine industrielle le prototype par opposition au modèle réduit.
Évolution des tendances en hydroélectricité
Lorsqu'on regarde les coûts des nouveaux projets, on observe une tendance à la hause que ce soit au niveau des coûts d'installation ou des coûts de l'électricité produite. Le lien entre les deux est le facteur d'utilisation. Ceci évidemment concerne les nouvelles installations. Toutefois, pour les économies matures comme l'Amérique du Nord et l'Europe, la réflexion n'est plus à ce niveau. On s'intéresse plutôt à la réhabilitation des installations existantes.
En décembre 2022, Vailles[3] publiait les coûts suivants pour La Romaine, 4 centrales nouvellement construites et totalisant 1500MW, 4838$CAN du kW et 4650$CAN du kW pour 13 petites centrales achetées par Hydro-Québec aux États-Unis totalisant 589 MW. On observe que les coûts à l'international sont plus faibles qu'en Amérique du Nord. Ils sont grandement influencés par les coûts de la main d'œuvre locale.
La réhabilitation des centrales existantes
Les économies matures, Europe et Amérique du Nord, sont engagées depuis une vingtaine d'années dans un programme de réhabilitation des centrales hydroélectriques. On observe que les machines de plus de 30 ans d'âge représentent 54% des installations et qu'elle se concentrent principalement en Europe et en Amérique du Nord. Mais rapidement on perçoit un début d'activité de réhabilitation en Amérique du Sud. Il s'agit d'abord d'une opportunité d'affaire. Environ 80% du marché de l'équipement hydroélectrique en Amérique du Nord est constitué de réhabilitation.
Pourquoi poursuivre le développement technologique en hydroélectricité?
D'aucun pense que les centrales hydroélectriques sont une vieille technologie, elles ont été inventées il y a plus de cent ans et on n'en entend peu parler.
En fait, comme pour les avions qui existent depuis à peu près cent ans et dont la conception originale a été conservée, les avions ont toujours des ailes et un empennage, la technologie et la performance des avions comme des turbines hydrauliques ont grandement évolué.
Les équipements hydroélectriques utilisent des technologies de pointes pour obtenir des performances toujours améliorées. C'est le fruit d'une recherche et développement intense et continue qui est motivé par de nombreux avantages économiques, environnementaux et sociaux.
Le développement et l'implantation de nouvelles technologies sont motivés par quelques incitatifs :
La production électrique est une source de revenu très importante.
Les temps d'arrêt ou les délais de mise en route sont très coûteux.
En cas de panne, l'énergie ou la puissance de remplacement doivent être prévues.
Les arrêts intempestifs qui compromettent la fiabilité sont à éviter.
En urgence, l'énergie et la puissance de remplacement ne sont peut être pas disponibles localement, la panne peut entraîner une panne globale du réseau.
Le respect de l'écologie est un permis pour exploiter.
Des solutions environnementales doivent être développées et mise en œuvre lors de la réhabilitation.
Simulation : Étude économique de la production d'une machine
Imaginons, un groupe turbine alternateur qui produit 100 MW à pleine puissance. Ce qui n'est pas exceptionnel.
Supposons un facteur d'utilisation de 60%, et un prix de vente de 0,07$ du kilowatt-heure.
Une journée de production =
100 MW * 1000 KW/MW *60% *24 heures/ jour * 0,07$/KW-hre = ~100 000 $/jr
Sur une vie prévue de 35 ans, une turbine de 100 MW rapportera environ 1,28 MM$.
Cela laisse place à l'imagination pour optimiser la machine, sa mise en œuvre et sa fiabilité.